31 janvier 2011

Lectures et nouvelles hivernales

Comme les autres blogueurs le savent, il peut parfois être essoufflant de tenir un blogue, même de façon mensuelle comme c'est le cas pour moi. D'une certaine manière, le temps d'écriture est toujours du temps volé et, comme il est souvent rare, le temps consacré à un blogue devient doublement spolié - aux obligations quotidiennes et à l'écriture. En même temps, l'exercice n'est pas désagréable et correspond à une autre forme de communication.

Alors, quoi de neuf ?

Comme toujours, beaucoup de projets et trop peu de temps. Des films, des albums et des livres. Un environnement stimulant, aussi : beaucoup d'amis verront bientôt leurs nouvelles publications en librairie. Ainsi, j'ai bien hâte de tenir entre mes mains la novella d'Ariane, L'enfant sans visage (XYZ, à paraître ce printemps), un roman de science-fiction à l'imaginaire généreux et aux images fortes. J'ai vu, non sans émotion, avec quelle ferveur et quel dévouement Ariane s'est consacrée à ce livre. Mon ami Michel Châteauneuf publiera aussi (même éditeur, même collection !) une novella réaliste qui nous replonge dans les années 1980 : Bad Trip au 6e Ciel. La créativité stimule la créativité, aussi est-ce fort agréable d'évoluer dans un environnement où la création est primordiale.

Sans doute à cause d'Ariane, qui est l'une lectrice les plus assidues que je connaisse, j'ai aussi intensifié mes lectures, depuis un an. Parmi celles-ci, un ouvrage se démarque, à titre de montagne russe infernale : L'Écho des suppliciés, de Joël Houssin, roman qui déploie tous les moyens possibles pour atteindre une sorte de zénith dans l'horreur. L'auteur a mis au service de son récit une plume-scalpel qu'il trempe dans le sang, non sans faire preuve, au détour de quelques passages, d'un humour féroce. Clairement, et au delà du cliché, l'ouvrage n'est pas à mettre entre toutes les mains. Plus qu'une simple charge "gore", il repose sur des bases métaphysiques quant à la souffrance humaine et à ses répercussions. N'empêche : le livre exhale une odeur de terre incendiée. Je me demande ce qu'en auraient pensé les exégètes de Sade ou les surréalistes.
(Photo de Joël Houssin)

En ce moment, je termine la lecture d'Entre les bras des amants réunis, de Claude Bolduc, ouvrage que j'apprécie pour la rigueur de son écriture (certains textes bénéficient d'une grande recherche formelle, par exemple "Le Masque", la novella qui donne son titre au recueil ou l'extraordinaire pastiche de Jean Ray qui clôt l'ouvrage de façon remarquable) et pour le talent de Bolduc à créer une atmosphère dense. Cette ambiance est souvent empreinte d'une tristesse de laquelle n'est jamais exempte la luminosité que dispensent les relations humaines (l'amitié semble être l'un des thèmes de prédilection de l'auteur, thème qu'on retrouvait également dans son roman-jeunesse Là-haut sur la colline).Enfin, autre lecture en cours : L'Envers du rock, de Nick Kent, qui propose au lecteur une série de portraits corrosifs de rock-stars chancelantes qu'il a suivies au cours de leurs dérives. Kent a mis une écriture lucide et souvent très drôle au service de chapitres consacrés à des icônes décrites dans des situations peu glorieuses. Kent s'est efforcé d'être le plus juste possible, sans complaisance, mais sans animosité non plus. Après avoir risqué de graves blessures à cause de Sid Vicious (du légendaire groupe punk The Sex Pistols) et avoir été intimidé par Shane Mac Gowan (The Pogues), il tâche de peser le pour et le contre avec le plus d'équité possible. Lecture fort intéressante, à coup sûr, dont ces mots de Joël Houssin, justement, rendraient compte avec pertinence :

"Gardons-nous d'être secs avant l'âge. Qu'éclate le rire dans nos lignes et que dansent les morts-vivants !"

01 janvier 2011

Jean Rollin (1938-2010)

Puisqu’une nouvelle année permet souvent d’établir le bilan de celle qui l’a précédée, il est impossible pour moi de passer sous silence le décès du cinéaste-écrivain français Jean Rollin, survenu le 15 décembre dernier. Avec cette disparition, c’est tout un monde qui s’en va, et je ne peux y penser sans nostalgie. Au fil d’une longue carrière, Jean Rollin s’est distingué par son univers fantastique très personnel et sans équivalent. S’il aborda aussi d’autres genres (la comédie, le polar, l’érotisme, le drame), sa prédilection allait à l’onirisme et aux récits étranges.Son œuvre littéraire est hélas moins connue que ses films, mais elle constitue l’une des portes d’entrée majeures dans son monde. Jean Rollin a en effet écrit plusieurs romans, nouvelles, essais et préfaces, en plus de signer le scénario d’une BD (Saga de Xam) et de rédiger, récemment, ses mémoires. Fait moins connu, il fut aussi un animateur littéraire tenace, qui dirigea pas moins de quatre collections (« Lumière noire », « Frayeur », « Poche Revolver Fantastique » et, la dernière, ma favorite : « Les Anges du Bizarre », pour l’éditeur Sortilèges, dans le cadre de laquelle il réédita les sulfureux George Maxwell et Max Roussel, en compagnie d’inédits de qualité, comme un étonnant roman d’Anne Duguël : Mon âme est une porcherie). Son travail de directeur de collection lui permit en outre de révéler des écrivains talentueux comme Pascal Françaix.Nous avons correspondu dès 1994, époque où je lui avais écrit pour manifester l’enthousiasme qu’avait suscité chez moi son roman Les Deux orphelines vampires. Par la suite, j’eus l’occasion de rencontrer Jean à quelques reprises, entre autres lors de la première parisienne de son film La Fiancée de Dracula, dans une salle remplie par ses collaborateurs et comédiens. C’était une expérience étonnante que d’assister à la projection de ce long-métrage en compagnie de la faune colorée assise dans une salle modeste. On avait tout à coup l’impression d’être plongé dans un autre monde, au sortir duquel, un peu sonné par cette immersion dans un univers fantasmagorique, j’accompagnai Christophe Bier dans un pub pour partager un « demi » en discutant de cinéma insolite.

Par la suite, Jean participa à l’édition 2007 du festival Fantasia, où il présenta La nuit des horloges, film biographique émouvant, d’une grande lucidité, annonçant déjà le décès à venir de son créateur. À cause d’ennuis de santé dont il souffrait depuis les années 90, Jean Rollin était très conscient du peu de temps dont il disposait, et ce constat se dégageait de ses derniers travaux. Cette édition de Fantasia nous permit, à mon ami Patrick et à moi, de réaliser une longue entrevue lors de laquelle nous nous sommes efforcés de poser des questions auxquelles n’avaient pas songé les journalistes qui l’avaient jusqu’alors rencontré. Jean nous parla avec enthousiasme de l’éditeur Éric Losfeld, des romans noirs français de l’après-guerre, des surréalistes et de beaucoup d’autres sujets, avant de s’éclipser subitement dans sa chambre d’hôtel pour en revenir aussitôt, porteur de cadeaux qu’il avait amenés avec lui.Mon ami Simon Laperrière, qui fut l’un des artisans majeurs de la venue de Jean Rollin à Montréal, en 2007, a écrit ici un texte émouvant à son sujet.

Pour ma part, de son vivant, j’eus l’occasion de lui rendre hommage à deux reprises. D’abord, en 1998, dans l’un des derniers numéros de la revue québécoise imagine…, où un dossier lui fut consacré, assorti d’une nouvelle et d’une entrevue réalisée en 1996. En 2001, Pierre Charles (le regretté fondateur de Cine-Zine-Zone) me contactait aussi pour solliciter des textes au sujet de Jean Rollin. Ils parurent dans le numéro 134 de ladite publication. Dans la «lettre ouverte à Jean Rollin» que contient ce numéro, j’écrivais entre autres :

« Vos œuvres détonnent lorsqu’on les compare à trop de films ou de romans fantastiques actuels, finalement encore plus banals et terre-à-terre que les romans les plus réalistes, car le fantastique y est toujours considéré comme un intrus qu’il faut exterminer, comme un élément indésirable qu’on combat avant de regagner le calme bourgeois d’une existence rassurante et cartésienne.
Au contraire, vous ouvrez les digues de l’imagination : vous instaurez une réalité cent fois plus chatoyante que l’autre, la « réalité » conventionnelle. Quand on lit vos romans, on ne sait jamais ce qui va arriver, car tout peut y survenir. Déjà, dans les années 60, vous définissiez ainsi le fantastique : n’importe quoi peut arriver n’importe quand.

Notre ami Mario Mercier a déjà écrit : « Tout ce que l’homme imagine existe déjà dans le rêve de création de l’Esprit universel ». Les orphelines vampires existent, c’est sûr, comme tous les autres, leurs amis Fantômas, le Fantôme de l’Opéra, « Valérie au pays des merveilles » ou les deux jeunes filles de Mais ne nous délivrez pas du mal, ce très beau film de Joël Séria qui rappelle constamment votre œuvre.

Je ne saurais la résumer en quelques phrases, car c’est avant tout une aventure, une expérience sur laquelle il devient difficile de porter un jugement tant elle est intériorisée. Vos films et vos livres contiennent autant de moments inoubliables vécus avec des personnages qui m’ont parlé comme trop rarement dans ma vie.

Merci, Jean, de continuer à écrire et à filmer… »Finalement, la revue québécoise Contamination (hélas elle aussi disparue) devait contenir une autre entrevue, prévue pour un numéro qui ne parut jamais. Ces entretiens inédits seront sans doute publiés un jour, préservant la mémoire et la voix de Jean. Nous pourrons alors converser avec lui une dernière fois, au cours d’une promenade onirique que nous ferons en compagnie d’étranges femmes-vampires, de petites ogresses, de forains intemporels et de tous ceux qui jamais ne refuseront d’apercevoir, même en plein jour, les ailes de l’Ange du Bizarre jeter leur grande ombre sur les certitudes que l’on croyait immuables.
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Bonne année à tous. Qu'elle soit riche en bonnes surprises et remplie de créativité...