04 mars 2009

Le presbytère n'a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat

Cette phrase magique, empreinte d'une curieuse poésie, c'est à Gaston Leroux qu'on la doit. On peut la lire à plusieurs reprises dans son roman Le Mystère de la chambre jaune. On a beaucoup écrit sur ce livre, qu'on s'est souvent plu à présenter comme un classique de "l'énigme en chambre close", c'est-à-dire comme un roman policier dont le mystère repose sur un crime commis dans une pièce dont il est impossible de sortir ou dans laquelle on ne peut pas entrer. Ce serait se montrer injuste que réduire les romans de Gaston Leroux à d'aimables divertissements sans souci d'écriture ou d'inventivité. Le parcours de cet écrivain - d'abord journaliste de choc - suffirait, du reste, à nous persuader du contraire. Sa personnalité aussi, d'ailleurs.

Au-delà de ce récit, c'est surtout, je crois, dans le mystère dense de son écriture que Gaston Leroux nous convie à entrer. Mon avis peut sembler divergeant de l'image que se fait le grand public de cet auteur - un grand public qui n'a guère lu Leroux, d'ailleurs, ou alors qui a peut-être parcouru distraitement Le Fantôme de l'Opéra.L'une des particularités de l'écriture de cet auteur était le recours à une poésie insolite, à la fois subtile, mystérieuse et décalée. C'est connu : Leroux aimait parsemer ses livres de phrases en italiques qui provoquent une sensation inusitée, la sensation qu'il se trouve quelque chose entre les lignes, que l'intrigue n'est parfois qu'un prétexte pour entrouvrir la porte sur un monde qui se trouve à la frontière du regard, qui commence dans notre "angle mort" de lecteur. La force de Leroux est de parvenir à justifier logiquement ces phrases, tout en ne leur enlevant rien de leur inquiétante étrangeté. Au fil des pages, on découvre donc ce genre de passages avec une certaine stupéfaction :

- Il est étrange de voir avec quelle régularité de pendule la marquise glisse de la vie à la mort pour remonter de la mort à la vie et redescendre ensuite.
- Frileuse fille d'Égypte qui n'est vêtue que de cordes, fais t'en des ceintures que ton époux dénouera et tu auras chaud.
- Pourquoi les chaussettes de l'homme qui marche la tête en bas se trouvent-elles chez Coriolis ?
- La tête de mort a-t-elle sonné ?
- C'est par ce petit trou-là que le monstre m'a mordue pendant que je faisais ma prière.

Si on enlevait ces fameuses italiques, d'ailleurs, ces phrases de Leroux ne perdraient rien de leur force, mais le recours à cette police montre bien la volonté de Leroux de les souligner. C'est, d'une certaine façon, sa signature d'auteur.J'ai eu l'occasion, voilà quelques années, de discuter (?) avec un auteur un peu pontifiant qui expédiait Leroux du revers de la main. Bien sûr, il l'avait peu lu, et ces lectures (qu'on sentait en surface - entendre : Leroux avait été lu vite, presque de façon utilitaire) se bornaient à des réminiscences adolescentes plus ou moins lucides. Il n'avait pas remarqué que l'écriture de Leroux est aussi particulière en ce que l'auteur oscille sans cesse entre le premier degré (sa verve de conteur) et une certaine ironie affectueuse (s'adressant parfois aux personnages pour les rassurer ou les réconforter ou alors pour poser sur eux un jugement qui n'est pas dénué d'un sens critique empreint d'une certaine bonhomie). Le résultat ne manque pas d'étonner le lecteur attentif.

Il serait inexact, toutefois, de dire que, chez Leroux, l'histoire - la diégèse - n'a pas d'importance. Au contraire, les récits qu'il conçoit sont parfois si étranges et déroutants qu'on comprend pourquoi le grand public n'a retenu que les plus sages : Le Mystère de la chambre jaune, Le Parfum de la dame en noir et Le Fantôme de l'Opéra. On ne parle guère de l'étonnant La Double vie de Théophraste Longuet, par exemple, un roman très singulier...Ou alors de cette Reine du sabbat qui avait valu ces mots de Jean Rollin: "Ce prodigieux volume, une des plus importantes créations imaginatives du XXe siècle et une des oeuvres les plus savamment construites qui puisse être, nous entraîne dans chacun des poncifs du genre, mais décuplé et poussé à son extrême limite. Il n'est pas impossible que quelqu'un devienne un jour fou en lisant ce livre, car les événements sont si diaboliques, l'intrigue, si compliquée et les énigmes se succédant plus rapidement les unes que les autres, qu'il devient extrêmement difficile de ne pas perdre le fil". Que demander de mieux? La littérature ne devrait-elle pas être le plus dépaysant des voyages?